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Yoann Doignon

- Chercheur au CNRS

- Chargé de recherche à l'UMR IDEES - Identité et Différenciation de l’Espace, de l’Environnement et des Sociétés à Rouen

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Entretien avec

Comment expliquer le fait que la France n'ait multiplié sa population que par 1,6 sur la période 1750-1945, quand l'Italie la multipliait par 3 et le Royaume-Uni par 6 ?

"La France a un taux d'accroissement faible par rapport à l'ensemble des pays européens et plus globalement l'ensemble des pays du monde. Quand on dit que la population a été multipliée par 2, par 4, par 8, on parle de multiplicateur transitionnel de population, c’est-à-dire par combien a été multipliée la population d’un pays lors de la transition démographique. La transition démographique, c'est souvent une baisse de la mortalité suivie d'une baisse de la natalité. Durant la période où la mortalité baisse et la natalité continue de stagner, la population augmente et parfois très fortement. Dans un pays européen, le coefficient multiplicateur se situe souvent entre 2 et 6. Il peut être beaucoup plus élevé (peut aller jusqu'à 20) dans les pays du Sud comme le Mexique ou le Kenya depuis la Seconde Guerre mondiale. La France constitue une exception : la fécondité a commencé à diminuer avant la mortalité. Par conséquent, durant la transition démographique, la natalité et la mortalité ont diminué quasiment au même moment, et il n'y a pas eu de fenêtre durant laquelle un gros écart se serait créé entre les deux. Ce phénomène explique en partie pourquoi la France a gagné moins d'habitants que ses voisins sur cette période."

Pourquoi la France est-elle considérée aujourd'hui comme le "moteur démographique" de l'Europe ? Est-ce en raison de ses politiques natalistes précoces ?

"Dans l'entre-deux-guerres, il y avait en France une peur de la dénatalité et la dépopulation. Suite à la guerre de 1870 avec la Prusse, et pendant longtemps, la population totale était synonyme de puissance et de bonne vitalité d'un pays. A cette époque, le solde naturel pouvait être négatif ou proche de l'être. Par politique nataliste, il faut entendre des incitations mises en place par l'État pour essayer de stimuler la fécondité pour éviter qu'elle ne tombe en dessous de 2,1 enfants/femme, une telle chute pouvant engendrer une baisse de la population. Pour autant, le solde naturel peut diminuer mais être compensé par les migrations. Il y a deux composantes pour savoir si une population augmente ou non : le solde naturel et le solde migratoire. Dans certains pays, le solde naturel est négatif mais le solde migratoire est positif et la population augmente quand même. La France se caractérise par une solde naturel positif et cela s'observe par un taux de fécondité bien au-dessus de la moyenne européenne. Donc oui, les politiques natalistes françaises expliquent en partie la croissance démographique du pays, mais ce n’est évidemment pas le seul facteur à l’œuvre."

Certains qualifient le déclin démographique italien de "dramatique" ? Qu'en pensez-vous ?

"En démographie, on a souvent tendance à essayer de décorréler la dynamique démographique avec un vocabulaire chargé émotionnellement, connoté ou en termes de symboles. En tant que telle, n'importe quelle tendance démographique engendre des défis et des enjeux. Une augmentation de la population a aussi des enjeux. Si on prend l'exemple de l'Égypte, la population augmente rapidement et cela pose des enjeux. La croissance d'une population est synonyme d'augmentation des naissances, de générations de plus en plus nombreuses et donc de créations d'écoles et de services publics. Le dépeuplement, c'est le sens inverse. Les enjeux sont différents et donc les gestions le sont aussi. Avec la basse fécondité et le dépeuplement vient souvent le vieillissement de la population. On dit que les populations vont vieillir et que c'est terrible pour le système de retraites mais il faut quand même se souvenir que si une population vieillit, c'est parce qu'on vit de plus en plus vieux. On peut aussi voir le fait de pouvoir vivre jusqu'à 80/90 ans comme une superbe victoire des sociétés humaines sur la mort. Alors oui, chaque tendance amène des enjeux mais tout est question de la manière de les gérer par les sociétés."

La politique migratoire, souvent annoncée comme solution miracle pour lutter contre le déclin démographique et le vieillissement, ne serait-elle pas qu'une solution à court terme ?

"Certaines études ont été réalisées pour savoir si les migrations peuvent compenser le vieillissement. Globalement en Europe, non. Je mettrai tout de fois une petite réserve en fonction de la taille de la population. Plus une population est petite, plus les volumes migratoires nécessaires pour compenser n'ont pas besoin d'être importants. Un pays comme Malte n'a pas besoin d'un flux migratoire aussi important que la France ou l'Italie en cas de vieillissement ou de dépeuplement. Pour l'Italie, j'aurais tendance à dire qu'il ne peut s'agir d'une solution à long terme. Les volumes migratoires qu'il faudrait chaque année pour contrebalancer un taux de fécondité de 1,24 sur 50 ans sont tels que cela semble peu crédible. Néanmoins, je ne suis pas spécialiste du cas italien et d'autres sauront mieux répondre à cette question."

A quel point les démographes et instituts de statistiques peuvent-ils prévoir les réalités démographiques de demain ?

"En réalité, plutôt bien ! En météorologie, les prévisions au-delà d'une semaine ou 15 jours perdent en crédibilité. Pour les perspectives de croissance économique, cette limite passe à 6 mois/1 an. Les démographes, eux, peuvent donner le nombre de naissances qui auront lieu dans 5 ans avec un assez bon degré de précision. Ce chiffre dépend de variables déjà connues comme le nombre de femmes présentes sur le territoire et la probabilité de faire un enfant en fonction de l'âge. Lorsqu'on parle de démographie, on parle de phénomènes à tendance lourde, dans le sens où un individu qui naît aujourd'hui va peser sur la population pendant encore 80/90 ans. Ce sont des phénomènes qui mettent du temps. Quand on regarde les différents scénarios d'évolution démographique de l'ONU pour 2050, on se rend compte qu’ils ne sont pas si éloignés que ça entre eux. Plus on s'éloigne dans le temps, plus le degré de confiance dans l'estimation diminue. Après 40 ans, l'estimation n'a plus grande valeur. 2100 est une échéance trop lointaine pour les études démographiques d'aujourd'hui, il s’agit avant tout d’un exercice intellectuel pour quelle serait la population sous des hypothèses de fécondité, mortalité et migration pendant 80 ans."

L'ÉVOLUTION DES NAISSANCES

EN FRANCE ET EN ITALIE

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